'Le Musée Absent', WIELS

Le WIELS célèbre ses dix ans d’activité en nous proposant une exposition intitulée Le Musée absent: préfiguration d'un musée d'art contemporain pour la capitale de l'Europe. Une quarantaine d'artistes belges et internationaux, aux démarches aussi intéressantes que variées, sont exposés. Le parcours s'étend au-delà des confins du centre d'art contemporain et prend aussi ses quartiers dans les bâtiments voisins du BRASS et du Métropole qui faisaient autrefois partie intégrante de la brasserie Wielemans-Ceuppens.

Oscar Murillo, Human Resources, 2016. Variable dimensions. Wood, fabric, papier mâché. Courtesy of the artist and David Zwirner, New York/London.

Oscar Murillo, Human Resources, 2016. Variable dimensions. Wood, fabric, papier mâché. Courtesy of the artist and David Zwirner, New York/London.

Bien que des départements d'art contemporain existent, tant aux Musées royaux des Beaux-Arts qu'au Musée d'Ixelles pour ne citer qu'eux, le WIELS pallie, depuis son inauguration en 2007, l'absence de "musée d'art contemporain" à Bruxelles. Le WIELS endosse en quelque sorte le rôle que devrait remplir le "Musée absent" et l'exposition éponyme que nous proposent les curateurs Dirk Snauwaert (directeur du WIELS), Zoë Gray, Frédérique Versaen, Caroline Dumalin et Charlotte Frilling, cartographie et préfigure la création prochaine d’une telle institution. Munis de ce carnet de route, les curateurs se sont attelés, tant dans l'accrochage que dans le parcours de l'exposition, à repenser le rôle du musée aujourd'hui et ont mis sur le tapis les sujets de discussions suivants: "quelles questions pressantes un musée devrait-il soumettre à l'attention du public? Quelles lacunes dans les collections muséales devraient être palliées? Quelles histoires nouvelles ou alternatives devraient être racontées? Quelles identités mériteraient d'être représentées, formées ou confirmées?" La scénographie, conçue par l'architecte Richard Venlet, cloisonne temporairement les espaces ouverts du centre d’art contemporain et, ce faisant, confère au lieu une configuration muséale. 

La visite s'articule autour de deux axes complémentaires. Au deuxième étage du WIELS, on découvre Le (Musée) Absent qui examine et comble les lacunes des collections d’art des musées belges. Le reste de l'exposition met au jour Le Musée (Absent) et propose une sélection de pratiques artistiques qui pourrait figurer au "menu" inaugural d’un futur musée d’art contemporain bruxellois… Les artistes retenus sont pour la plupart installés dans la région du Bénélux et les œuvres présentées sont accessibles et politiquement engagées. Elles posent des questions sociétales et mettent en lumière le rôle que l'art peut jouer dans notre compréhension du monde actuel.

Luc Tuymans, Doha II, III, 2016, huile sur toile. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

Luc Tuymans, Doha II, III, 2016, huile sur toile. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

L'exposition est vaste et afin de ne pas vous ôter le plaisir de la découverte, je me suis contentée ici de vous présenter quelques unes des œuvres qui y figurent.

 

Le (Musée) Absent

Dans la partie du WIELS consacrée au (Musée) Absent, la salle qui a le plus retenu mon attention est celle qui explore le passé colonial. La juxtaposition des travaux de l'artiste sud-africaine Marlene Dumas, du photographe et vidéaste congolais Sammy Baloji et du peintre belge Walter Swennen m'a semblé convaincante. The Widow (2013), le diptyque de Marlene Dumas, expose deux interprétations d'une photographie de Pauline Lumumba publiée dans le Time Magazine peu après le décès de son époux Patrice: si les deux toiles la représentent un bras croisé sur sa poitrine nue, entourée de deux hommes et d’une foule en arrière-plan, les couleurs, tonalités, rendus des personnages, "cadrages" et formats des tableaux diffèrent et invitent le spectateur à des lectures alternatives.

Marlene Dumas, The Widow, 2013. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition.

Marlene Dumas, The Widow, 2013. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition.

Sammy Baloji s'inspire lui aussi d'images d’archives dans les deux photomontages tirés de sa série Mémoire (2006) et il nous livre sa réflexion sur l'histoire de Lumumbashi, sa ville natale. We/They (2013) de Walter Swennen pose la question du rapport à l’autre: le peintre reproduit l’en-tête d’un carnet de bridge pour distinguer le "nous" du "eux" et interroge par ce biais la notion même d'altérité et l'arbitraire de telles distinctions…

Sammy Baloji, Untitled part of the series Memoire, 2006 et Walter Swenen, We/They, 2013. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

Sammy Baloji, Untitled part of the series Memoire, 2006 et Walter Swenen, We/They, 2013. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

Dans une autre salle, 1943 (2017), l'œuvre de Francis Alÿs questionne, sous forme de poème en prose, la position éthique de l'artiste. La trentaine d'artistes autour desquels s'articule le poème nous invite à méditer sur comment chacun d'eux a fait ou non acte de résistance au cours de l'année 1943 et sur les liens subtils entre création artistique et liberté d'expression en temps de guerre. Cette œuvre murale dialogue efficacement avec les tableaux du peintre juif allemand Felix Nussbaum (1904-1944) qu'elle côtoie. En 1943, comme on peut le lire dans le poème de Francis Alÿs, Felix Nussbaum "se cachait de ses voisins à Etterbeek" à Bruxelles (il sera dénoncé un an plus tard et déporté à Auschwitz où il fût exterminé…) et, contrairement à certains autres artistes cités, ses œuvres documentaient et dénonçaient l’inacceptable (il avait d’ailleurs insisté auprès de la personne à qui il confia ses toiles pour la postérité: “si je péris, ne laisse pas mourir mes tableaux. Montre-les aux gens !”). Ses peintures ont de ce fait une valeur de témoignage indéniable.

Felix Nussbaum, St. Cyprien (Gefangene in Saint-Cyprien), 1942, Francis Alys, 1943, 2017 et Luc Tuymans, Secrets, 1990. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

Felix Nussbaum, St. Cyprien (Gefangene in Saint-Cyprien), 1942, Francis Alys, 1943, 2017 et Luc Tuymans, Secrets, 1990. Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition. © Kristien Daem

Felix Nussbaum, St. Cyprien (Gefangene in Saint-Cyprien), 1942

Felix Nussbaum, St. Cyprien (Gefangene in Saint-Cyprien), 1942

 

Le Musée (Absent)

La thématique de l’engagement des artistes dans la sphère politique et sociale est aussi abordée dans cette partie de l'exposition et j'en veux pour preuve, entre autres, le travail de l’artiste franco-turque Nil Yalter dont le corpus d’œuvres allie photographies, vidéos et dessins et relate avec poésie les conditions de vie d’immigrés turcs. Les clichés oscillent entre la sphère publique et la sphère intime et des affiches de son travail sont également placardées dans la rue à la sortie du WIELS, accompagnées du message : "c'est un dur métier que l’exil."

Nil Yalter, Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition.

Nil Yalter, Le Musée Absent, WIELS, vue d'exposition.

Nil Yalter, Turkish Immigrants #2. Three Girls, 1977–, dimensions variables, affiche. WIELS, Le Musée Absent, vue d'exposition.

Nil Yalter, Turkish Immigrants #2. Three Girls, 1977–, dimensions variables, affiche. WIELS, Le Musée Absent, vue d'exposition.

Dans l’installation ludique et immersive du colombien Oscar Murillo (Human Ressources, 2016), des personnages en papier mâché, assis sur des gradins, nous regardent et nous invitent à prendre place à leurs côtés. Le visiteur devient ainsi partie prenante de l'oeuvre.

Une impressionnante sculpture en terre craquelée de l’hollandais Mark Manders, exposée dans une des pièces du Métropole, clôture le parcours…

Mark Manders, Dry Clay Head 2015-2016 (installation in Métropole for The Absent Museum). © Kristien Daem

Mark Manders, Dry Clay Head 2015-2016 (installation in Métropole for The Absent Museum). © Kristien Daem

Le panorama de la création artistique actuelle que nous offre Le Musée Absent prouve, si besoin est, la valeur ajoutée que représenterait la création d'un musée d’art contemporain à Bruxelles… “Les musées sont des espaces où une société se raconte des histoires à elle-même,” note dans le catalogue Charles Esche, le directeur du Musée Van Abbe à Eindhoven. En attendant qu’un tel projet se concrétise, l’exposition imaginée par les curateurs du WIELS remplit cette fonction avec brio, et met en scène jusqu'au 13 août prochain des "histoires" qui reflètent la diversité et la pluralité de la capitale de l'Europe.

 

Le Musée Absent: Préfiguration d'un musée d'art contemporain pour la capitale de l'Europe, WIELS, Contemporary Art Center, Avenue Van Volxem 354, B-1190, Brussels, Belgium. Jusqu'au 13 Août 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber