"Notre Congo/Onze Kongo", la propagande coloniale belge dévoilée, ULB

"Notre Congo/Onze Kongo", la propagande coloniale belge dévoilée est une exposition itinérante organisée par l'ONG CEC (Coopération par l'Education et la Culture).

Cette exposition est le fruit des recherches effectuées par Julien Treddaïu du CEC en collaboration avec l'historien Elikia M'Bokolo. Présentée pour la première fois en 2014 au Musée BELvue à Bruxelles, elle a depuis voyagé dans plusieurs autres villes, tant en Belgique qu'en France (notamment à Liège et à Lille).

Comme l'indique son intitulé, l'exposition se penche sur l'impact et sur l'étendue de la propagande coloniale déployée par le roi Léopold II pour le compte de l'Etat Indépendant du Congo (1885-1908) d'abord et par l'Etat Belge (1908-1960) ensuite.

"Notre Congo/Onze Kongo" propose une vaste sélection de documents graphiques, audiovisuels et sonores du temps de la colonie. Les organisateurs ont mis un point d'honneur à attirer l'attention du visiteur sur le pouvoir des images pour influer sur les mentalités. Comme le souligne le guide du visiteur: "L'image a été un élément fondamental dans la diffusion de l'idéologie coloniale tout au long du XXe siècle (...) A l'heure où les images sont omniprésentes et digérées de plus en plus rapidement, il apparaît essentiel de prendre le temps de les "redécouvrir" et de réfléchir à leur influence à travers le temps".

Vue de l'exposition ("Le Congo des manuels scolaires" et "vestiges et monuments").

Vue de l'exposition ("Le Congo des manuels scolaires" et "vestiges et monuments").

Le parcours, véritable cartographie des mentalités, des mythes et des stéréotypes de l'époque, est installé par thèmes dans trois salles. La première salle est consacrée à un documentaire qui contextualise les documents présentés. Ce documentaire introductif, narré par Elikia M'Bokolo, retrace les grandes étapes de l'histoire de la colonisation belge. Les salles suivantes présentent d'anciens manuels scolaires, des jeux pour enfants, des cartes géographiques, des affiches publicitaires et de cinéma, des objets de consommation, des cartes postales, des maquettes de monuments commandités par l'Etat et des objets d'art véhiculant des clichés sur le Congo et sur les congolais.

Vue de l'exposition ("noirauds et charité").

Vue de l'exposition ("noirauds et charité").

Le Congo est devenu "notre" Congo par le biais d'une campagne de propagande massive mise en oeuvre par l'Etat, l'Eglise et les entreprises coloniales. Cette campagne martelait de manière systématique les mêmes messages et les mêmes images afin de faire accepter le fait colonial et de forger l'inconscient collectif et l'imaginaire de toute une population.

Un "mur interactif" invite les plus curieux à choisir, dans une banque de données, les archives sonores ou audiovisuelles complémentaires qu'ils souhaitent consulter. Etant donné que la propagande coloniale s'est immiscée dans tous les pans de la société, un effort de concentration est nécessaire pour comprendre la portée de l'exposé. "Notre Congo/Onze Kongo" s'évertue à déconstruire les mythes fondateurs de la colonisation (comme le "progrès" et la "civilisation") et incite le visiteur à faire de même. Des panneaux informatifs et des frises chronologiques émaillent l'espace et proposent des "arrêts" sur certaines images pour en permettre une lecture iconographique. L'exposition encourage le visiteur à prêter attention aux codes de représentation des images. Qui est représenté? Comment et à quelles fins? Quels sont les messages véhiculés et à qui s'adressent-ils?

En outre, et à titre d'exemple, les documents relatifs à l'effort de guerre des congolais lors des deux guerres mondiales ainsi que le buste du premier universitaire congolais, Paul Panda Farnana, mettent en lumière des épisodes et des personnages trop souvent marginalisés dans l'histoire de la colonisation.

Vue de l'exposition (documents relatifs à l'effort de guerre des congolais lors des deux guerres mondiales).

Vue de l'exposition (documents relatifs à l'effort de guerre des congolais lors des deux guerres mondiales).

Buste de Paul Panda Farnana, Guillaume Charlier.

Buste de Paul Panda Farnana, Guillaume Charlier.

L'intérêt de l'exposition réside également dans sa capacité à entrelacer l'histoire de la Belgique à celle du Congo en montrant "comment les belges ont conçu, et ce pendant plus de quatre-vingts ans, leur rapport à l'autre en entretenant mythes et stéréotypes, souvent éloignés de la réalité". En fin de visite, les peintures populaires des congolais Tshibumba Kanda-Matulu et de Chéri Samba "dialoguent" avec une sélection d'oeuvres d'artistes belges, et proposent une autre lecture du fait colonial. Comme le souligne Elikia M'Bokolo: "Si la cible de la propagande coloniale a été la société belge dans ses différentes composantes, les congolais ont aussi été visiblement à leur tour façonnés par cette propagande".

Vue de l'exposition ("peinture populaire").

Vue de l'exposition ("peinture populaire").

Matongue Porte de Namur! Porte de l'Amour? Cheri Samba.

Matongue Porte de Namur! Porte de l'Amour? Cheri Samba.

"Notre Congo/Onze Kongo" s'inscrit dans le sillage de la critique postcoloniale qui, pour citer le théoricien Achille Mbembe, s'efforce de "déconstruire la prose coloniale, c'est-à-dire le montage mental, les représentations et formes symboliques ayant servi d'infrastructure au projet impérial". En rayant l'adjectif "notre" et en le remplaçant par l'adjectif "votre", les organisateurs s'insèrent dans une logique de déconstruction de l'inconscient collectif lié au Congo, source, aujourd'hui encore, de stéréotypes et de discriminations.

Affiche de l'exposition.

Affiche de l'exposition.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir la problématique, le CEC propose un programme d'activités organisées autour de "Notre Congo/Onze Kongo". J'ai eu l'occasion d'assister, dans le courant du mois d'octobre, aux très intéressants "Colonial Tours", proposés par le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations (CMCLD). Ces "promenades" permettent de visiter, sous la houlette d'un guide, les vestiges de la colonisation qui essaiment l'espace public et urbain bruxellois. Des conférences et autres évènements sont prévus d'ici la fin du mois de décembre. Avant de conclure, je tiens à attirer votre attention sur le fait que vous pouvez aller visiter au Bozar et ce jusqu'au 22 janvier 2017, l'exposition Congo Art Works: Peinture Populaire organisée par l'artiste Sammy Baloji et l'anthropologue Bambi Ceuppens et, jusqu'au 23 décembre, l'exposition sur Les zoos humains: L'invention du sauvage à la Cité Miroir à Liège.

 

"Notre Congo/Onze Kongo", la propagande coloniale belge dévoilée, Salle Allende, ULB, campus Solbosch (bât F1) - 22-24, Av. Paul Héger, 1050 Bruxelles, Belgique, jusqu'au 17 décembre.

Copyright © 2016, Zoé Schreiber