Man Alive, Galerie Maruani Mercier

L'exposition de groupe Man Alive à la Galerie Maruani Mercier nous offre un panorama riche et varié de la création artistique américaine côté femmes.

Je suis allée voir cette exposition au lendemain des nombreuses Women's March ("marches des femmes") qui ont mobilisé des milliers de manifestantes et manifestants, tant aux Etats-Unis que dans le monde, pour protester contre l'attitude et les propos sexistes du nouveau président américain Donald Trump. Man Alive regroupe le travail de femmes qui s'adonnent à leur art sans compromis et qui, pour citer Wendy White, artiste participante et curatrice de l'exposition, "tout en n'ayant pas encore mesuré les enjeux et l'implication de cette Amérique nouvelle, refusent de se ranger, refusent de se taire, refusent de devenir gentilles".

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Ruth Root (à gauche) et de Nina Chanel Abney (à droite)

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Ruth Root (à gauche) et de Nina Chanel Abney (à droite)

Parmi les artistes exposées figurent des artistes établies et mondialement reconnues comme Marilyn Minter, Pat Steir, Mickalene Thomas et Judith Bernstein mais aussi des artistes émergentes moins renommées comme Jordan Casteel, Nina Chanel Abney et Rosson Crow.

L'accent est mis sur la peinture. Les vocabulaires visuels et les pratiques artistiques des différentes plasticiennes mises à l'honneur attirent notre attention sur la variété des problématiques qui les interpellent et qui restent souvent encore d'actualité: le sexisme et l'objectivation du corps des femmes dans les médias, le racisme et la violence policière à l'encontre des afro-américains et la sous-représentation de certains sujets dans l'histoire de l'art...

Si certaines artistes incorporent des photographies dans leurs peintures (Rochelle Feinstein) et puisent leur inspiration dans le monde publicitaire et médiatique (Julia Wachtel, Liz Markus) d'autres travaillent sur des évènements à chaud (comme Wendy White qui rend hommage à Michelle Obama dans un tableau tiré de sa nouvelle série We Go High, dont l'intitulé s'inspire d'un discours de l'ex-première dame des Etats-Unis) et d'autres encore, comme Pat Steir, Keltie Ferris et Joanne Greenbaum, ont recours à une démarche plus abstraite et graphique.

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Keltie Ferris

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Keltie Ferris

Rochelle Feinstein, Stay, 2001

Rochelle Feinstein, Stay, 2001

Wendy White, We Go High, 2016

Wendy White, We Go High, 2016

Personnellement, j'ai été ravie de découvrir de visu le travail de Jordan Casteel, jeune artiste ayant participé à la résidence du Studio Museum de Harlem l'année dernière, et dont les portraits d'hommes afro-américains développent un récit trop souvent passé sous silence.

Le matelas en silicone de Kaari Upson, conçu à partir de matelas trouvés dans les rues de Los Angeles, m'a remémoré la performance d'Emma Sulkowicz (Carry That Weight), la "Mattress Girl" de l'Université Columbia qui traîna son matelas derrière elle pendant un an à travers le campus, lieu de l'agression sexuelle dont elle dit avoir été victime, afin de réclamer que son agresseur (resté impuni) soit exclu de l'université.

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Jordan Casteel (à gauche) et de Kaari Upson (à droite)

Man Alive, Galerie Maruani Mercier, vue partielle de l'exposition, oeuvres de Jordan Casteel (à gauche) et de Kaari Upson (à droite)

L'exposition a le mérite de présenter au public le travail d'artistes dont les récentes expositions à New York (Marylin Minter au Brooklyn Museum et Judith Bernstein à la Galerie Mary Boone) ont été saluées par la critique et la presse. Dans leurs tableaux provocants et explicites, ces deux pionnières féministes s'attaquent au patriarcat, au machisme (Bernstein) et à la sexualisation à outrance des femmes dans la publicité et la pornographie (Minter).

Judith Bernstein, Birth of the Universe: Gold Cunt, 2013

Judith Bernstein, Birth of the Universe: Gold Cunt, 2013

Marilyn Minter, Cracked Up, 2013

Marilyn Minter, Cracked Up, 2013

A l'instar des récentes expositions Champagne Life (à la Saatchi Gallery à Londres), No Man's Land (à la Rubell Family Collection à Miami) et Revolution in the Making: Abstract Sculpture by Women (à Hauser Wirth & Schimmel à Los Angeles), Man Alive prend le parti d'exposer uniquement le travail de femmes... Cette décision curatoriale a été mûrement réfléchie par la curatrice Wendy White. Comme elle l'explique dans le catalogue d'exposition, "le genre ne constitue pas un thème en soi, les expositions qui ne regroupent que des artistes féminines peuvent les enfermer dans un ghetto et perpétuer le cliché selon lequel les femmes ne jouent pas dans la même cour que leurs homologues masculins (...) En 2017 la question ne devrait pas se poser, mais, alors que la possibilité d'élire une femme à la présidence a été reléguée aux oubliettes, on s'est rendu compte que nous ne sommes pas plus dans une ère post-genre que nous ne sommes dans une ère post-raciale (...) J'estime personnellement que ce type d'exposition doit être monté plus fréquemment et sans hésitation ni caveat - surtout aujourd'hui."

La visite de Man Alive, dont le titre reprend une expression utilisée pour exprimer la surprise face à une situation de choc ou d'effroi, rappelle l'influence déterminante du contexte politique, économique et social dans la création artistique. Man Alive sonne aujourd'hui comme un acte de contestation, et l'on peut concevoir que, dans une "réalité alternative" où Hillary Clinton aurait été élue à la présidence des Etats-Unis, l'exposition aurait plutôt célébré l'aboutissement d'un combat...  A la lumière de l'incertitude politique actuelle, ce combat, loin d'être terminé, se poursuit plus que jamais et les artistes qui figurent dans Man Alive, pour qui pratique artistique rime avec résistance, ont encore un agenda bien chargé devant elles.

 

Galerie Maruani Mercier, Avenue Louise 430, B-1050, Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 25 février 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber


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