Alice Neel, 'Alice Neel in New Jersey and Vermont', Galerie Xavier Hufkens

Les plaques minéralogiques américaines varient d’un état à l’autre et mettent en avant les caractéristiques de chacun des états qu’elles représentent. Celles du Vermont vantent le "Green Mountain State". Réputé pour sa nature verdoyante et ses montagnes vertes, c’est dans cet état, situé au nord-est des Etats-Unis, à quelques heures de route de New York où elle résidait, que la peintre américaine Alice Neel (1900-1984) allait se ressourcer.

L’exposition que lui consacre la galerie Xavier Hufkens s’intitule Alice Neel in New Jersey and Vermont et regroupe des tableaux peints loin de la frénésie de "la ville qui ne dort jamais". Si l’exposition reçoit en ses murs les membres de la famille de l’artiste et quelques uns de ses proches, elle nous donne aussi à voir un pan méconnu de son œuvre: ses paysages bucoliques et champêtres et ses natures mortes.

Alice Neel in New Jersey and Vermont, vue d’exposition, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: galerie Xavier Hufkens

Alice Neel in New Jersey and Vermont, vue d’exposition, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: galerie Xavier Hufkens

Alice Neel est incontestablement l’une des portraitistes majeures de son temps. Au cours de ses soixante ans de carrière, elle se consacre à l'art du portrait et choisit de raconter le monde dans lequel elle vit et d’explorer, à la manière de Balzac, "la comédie humaine" au moment où la scène artistique new-yorkaise est dominée par l’abstraction. Ses portraits combinent expressionnisme et réalisme et sont aux antipodes de l’expressionnisme abstrait, du minimalisme et du conceptualisme qui règnent en maîtres à l’époque.

Elle peint le quotidien, les "vrais gens". Les regards, les imperfections du corps, les poses racontent un instant, une rencontre, une vie. Rarement sereins, ses portraits sont toujours mémorables. Marginalisée (et desservie par ses problèmes psychiatriques et ses accointances communistes) voire ignorée de son vivant, Alice Neel crée dans l’ombre de ses homologues masculins et, à l’instar de nombreuses femmes artistes de sa génération, peine à trouver sa place sur la scène artistique. La reconnaissance sonne à sa porte tardivement. En 1974, c’est la consécration: le prestigieux Whitney Museum of American Art lui accorde la toute première rétrospective offerte à une artiste femme. Bien qu’encensée par la critique à la fin de sa vie, le succès de celle que l’on considère aujourd’hui comme l’une des chroniqueuses de l’évolution de la société américaine du 20ème siècle, est essentiellement posthume.

Alice Neel in New Jersey and Vermont, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Alice Neel in New Jersey and Vermont, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Anonymes, émigrés, cubains, portoricains, intellectuels, artistes, amis, amants.... se succèdent dans son atelier. Ses rencontres font partie intégrante de son art. L’exposition que nous propose la galerie Xavier Hufkens a été conçue en collaboration avec Jeremy Lewison, le conseiller auprès de la succession d’Alice Neel (The Estate of Alice Neel), et met en avant des œuvres plus confidentielles. Contrairement aux tableaux peints dans son studio new-yorkais, les tableaux du New Jersey et du Vermont sont souvent peints en plein air et la couleur verte sert de fil rouge à l’accrochage.

Une de ses belles-filles, flanquée de ses deux nourrissons, nous accueille... Les mêmes jumelles, croquées sur le vif quelques années plus tard, nous observent. Dans la salle suivante, c’est son autre belle-fille, et sa petite-fille qui entrent dans notre ligne de mire.

Du bout de son pinceau, Alice Neel ébauche ses toiles par un dessin au contour. Elle définit, délimite et trace la silhouette de ses modèles avant d’en peaufiner le portrait par touches de couleurs rapides et presqu’instinctives. Ses tableaux subliment l’interaction émotionnelle qu’elle tisse avec le sujet qui la regarde droit dans les yeux et nous interpelle. Certaines des œuvres paraissent inachevées, comme si Alice Neel donnait au visiteur le loisir de "compléter" à sa guise les parties de la toile laissées vierges.

Alice Neel in “Untitled” by Hartley Neel (Source: Nowness)

Les portraits de ses fils, Hartley et Richard Neel, se font face. Le premier enfourche sa motocyclette et semble prêt à s’aventurer en dehors du cadre de la toile tandis que le second, drapé dans une serviette de bain, semble vouloir reculer vers l’arrière-plan du tableau. L’envie nous prend de lire les deux œuvres comme un document psychologique...

Alice Neel in New Jersey and Vermont, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Alice Neel in New Jersey and Vermont, Galerie Xavier Hufkens, vue d’exposition. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Si les natures mortes et les paysages sont intéressants et chargés eux aussi d'émotion, on ne peut s’empêcher de penser que c’est dans la pratique du portrait que cette artiste hors-pair excellait.

Alice Neel in New Jersey and Vermont permet de se (re)familiariser avec la démarche de cette artiste qui, contre vents et marées, n’a eu de cesse de représenter les différentes facettes de notre humanité commune.


Alice Neel, ‘Alice Neel in New Jersey and Vermont’, Galerie Xavier Hufkens, 6 rue Saint-Georges, B-1050, Bruxelles, Belgique. Jusqu’au 8 décembre 2018.

Copyright © 2018, Zoé Schreiber 


LIRE PLUS

Alice Neel, Harlem Nocturne.jpg

December 28, 2020 / Zoé Schreiber