Leonard Freed, 'Worldview: Photographing the World Disorder', Musée Juif de Belgique

Worldview: Photographing the World Disorder, vue d’exposition, Musée juif de Belgique. Image courtesy: Musée juif de Belgique

Worldview: Photographing the World Disorder, vue d’exposition, Musée juif de Belgique. Image courtesy: Musée juif de Belgique

La rétrospective foisonnante que le Musée juif de Belgique consacre au photographe américain Leonard Freed (1929-2006) résulte d'un partenariat avec le Musée de L’Elysée (Lausanne) et l'Agence Magnum. Intitulée Worldview: Photographing the World Disorder, elle retrace, de façon chronologique, comment Leonard Freed s’est évertué à photographier tout au long de sa carrière "le désordre du monde" et à traduire en images sa perception de la société.

Les plus de 150 tirages, les planches contacts et les deux films d'une dizaine de minutes figurant dans l’exposition permettent au visiteur de s’imprégner de l’univers visuel du photojournaliste et de revenir sur quelques unes des périodes charnières de l'histoire politique et sociale de la seconde moitié du 20ème siècle.

Photographe humaniste et engagé, Leonard Freed s'inscrit dans la tradition du photoreportage d’auteur en noir et blanc. Il appartient à la deuxième génération de la prestigieuse agence photographique Magnum dont il devient membre à part entière en 1972. Sa “patte” n’est pas immédiatement reconnaissable mais ce qui se dégage de ses clichés c’est son empathie avec celles et ceux qui luttent pour leur dignité.

Né à Brooklyn dans une famille modeste d’immigrés juifs originaires d’Europe de l’Est, Leonard Freed aspire d’abord à devenir artiste peintre. Féru de voyages, il sillonne l’Europe et l’Afrique du Nord au début des années 50. À l'instar d'autres photographes de sa génération, la découverte du travail d’Henri Cartier-Bresson l’amène à changer de vocation et à choisir la photographie comme médium. Il fait ses premières armes à New York auprès d’Alexey Brodovitch, le directeur artistique du magazine de mode Harper's Bazaar. En 1958, il s’installe à Amsterdam et rencontre à Rome peu de temps après, son épouse Brigitte Klück qui deviendra son indispensable collaboratrice. Ils travailleront en tandem tout au long de sa carrière: il photographie et elle tire et développe les photos, répertorie les négatifs et retranscrit les légendes qui accompagnent les images.

Rome, Italy. 1958. copyright Leonard Freed & Magnum Photos

Rome, Italy. 1958. copyright Leonard Freed & Magnum Photos

Déterminé et insatiable, Leonard Freed va parcourir le monde à la recherche de ses racines et de notre humanité commune. Il se plaisait à dire qu’“en fin de compte, la photographie révèle qui vous êtes. C’est la recherche de la vérité par rapport à vous-même. Et la recherche de la vérité devient une habitude.” Pour mener à bien la mission qu’il s’est donnée, il braque son objectif sur les communautés juives hassidiques du Vieux Continent et du Nouveau Monde, documente la lutte pour les droits civiques des noirs américains, la tragédie du bois du Cazier en 1956, les scènes de rue, la vie de bureau, la violence, le quotidien de commissariats de police new-yorkais mais couvre aussi la Guerre des Six Jours en 1967 et celle de Kippour en 1973, la révolution roumaine en 1989... Ses “instants décisifs”, tout en nuances et en retenue, ont fait la une de nombreux journaux et magazines tels Life, Die Zeit, Libération ou Paris-Match pour ne citer qu’eux. 

Ses premières séries photographiques capturent l'agitation urbaine de New York et plus précisément celle du quartier de Little Italy. Son identité juive est un sujet qu’il explorera tout au long de sa vie et l'exposition s'ouvre sur une série de clichés de juifs orthodoxes à Brooklyn. Ce sont néanmoins les photographies qui témoignent du mouvement de lutte pour les droits civiques en 1963 qui vont propulser sa carrière. À l'instar du photographe noir américain Gordon Parks qui disait avoir "compris qu'un appareil photo pouvait être une arme contre la pauvreté, contre le racisme, contre toutes les injustices", il ouvre le diaphragme de son appareil photo sur la vie de la communauté noire et tente de capturer les expériences personnelles de chacun. De New-York à Washington, de Washington aux régions plus reculées du Sud des Etats-Unis, il documente ce qu'il voit et montre comment la ségrégation raciale impacte ses congénères qu'il individualise et qu'il photographie dans toute leur humanité. 

Une photo en particulier a retenu mon attention... Celle d’un soldat afro-américain anonyme qui se tient debout en lisière du secteur américain à Berlin ouest en 1962. Cette image emblématique révèle la contradiction inhérente de la société américaine d’après-guerre: le soldat est installé en avant-poste de la guerre froide menée par son pays mais n’est pas reconnu comme citoyen à part entière chez lui. La plupart des sujets sur lesquels Leonard Freed braquera son objectif découlent de cette image originelle.

West Berlin, Germany. 1962. © Leonard Freed/Magnum Photos

West Berlin, Germany. 1962. © Leonard Freed/Magnum Photos

Le travail de Leonard Freed, qui s’est toute sa vie engagé pour la défense des libertés et la lutte contre les inégalités, reste encore aujourd’hui d’actualité et continue d’imposer le respect.

Leonard Freed, Worldview: Photographing the World Disorder, Musée Juif de Belgique, 21 rue des Minimes, B-1000 Bruxelles, Belgique. (!) L’exposition est prolongée jusqu’au 12 mai. (!)

Copyright © 2018, Zoé Schreiber 


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7 août 2020 / Zoé Schreiber