Helena Almeida

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Helena Almeida, Étude pour deux espaces, 1977

Helena Almeida, Étude pour deux espaces, 1977

Telle une fleur, la main semble s’extraire pour ne pas dire se libérer de la porte en fer forgé... dedans/dehors... Une main tendue vers l’extérieur certes mais une main rattachée à un corps enraciné à l’intérieur, une main rattachée à un corps invisible, à un corps arrimé de l’autre côté du miroir... Si cette main est celle d'Helena Almeida, artiste portugaise majeure du XXeme siècle, elle pourrait être celle d’une femme lambda...

Helena Almeida, Peinture Habitée, 1975, acrylique sur photographie, 46 x 50cm

Helena Almeida, Peinture Habitée, 1975, acrylique sur photographie, 46 x 50cm

Cette image, simple et poignante à la fois, est plus parlante que le mot en cette période de confinement imposée par l’épidémie de Covid-19. Le cliché, réalisé en 1977, s'intitule "Etude pour deux espaces [Estudo para dois espaços]" et raconte l'isolement du Portugal pendant les années de dictature.

Plans resserrés sur différentes parties du corps, jeux d'ombres et de regards, travail sur le mouvement et la séquence... Les oeuvres d'Helena Almeida (1934-2018) brouillent les pistes entre la photographie, la performance et la peinture. L'artiste a représenté le Portugal à deux reprises à la Biennale de Venise et son travail a fait l’objet de rétrospectives au Jeu de Paume et au Wiels entre autres. Dans une de ses séries les plus connues, Peinture Habitée, Helena Almeida repeint par endroits ses auto-portraits de bleu Klein, une façon de construire et d'occuper un espace d'expression qui lui est propre, de dépasser les limites du cadre pictural mais aussi, peut-être de s'affranchir d'un carcan sociétal. « Ma peinture est mon corps, mon corps est mon oeuvre » se plaisait-elle à dire.

Copyright © 2020, Zoé Schreiber

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Matt Mullican, 'Representing The Work', MAC's

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Matt Mullican est mis à l’honneur dans une vaste rétrospective au Mac’s Grand Hornu. Né en Californie en 1951, il débute sa carrière artistique à la fin des années 70 et fait partie de la génération d’artistes dits de la “Pictures Génération” en référence à l’exposition Pictures organisée à New York en 1977 par le critique d’art Douglas Crimp. Cette exposition manifeste donna naissance au concept d’appropriationnisme dans l’art. Intitulée Representing The Work, la rétrospective proposée par le MAC’s réunit près de 1500 œuvres et offre un panorama de la pratique artistique à la fois foisonnante, encyclopédique, obsessionnelle, dense et ardue de l’artiste. Le parcours embrasse l'architecture du lieu et nous transporte de ses débuts à CalArts, où il étudie avec John Baldessari, à sa récente exposition au Hangar Bicocca à Milan. 

A l’instar de Cindy Sherman, Robert Longo, Jenny Holzer, Louise Lawler ou Richard Prince pour ne citer qu’eux, Matt Mullican “s’approprie” et réutilise des symboles de la culture populaire pour représenter le monde et interroger le réel. Il utilise la signalétique qui structure le paysage urbain et s’intéresse au pouvoir de suggestion des images. Il part du postulat que les images ne se résument pas à leurs seules propriétés matérielles et physiques mais qu’elles sont également mentales et ont la faculté de susciter des émotions. Il remet ainsi en question l’opposition entre réalité objective et réalité subjective pour démontrer que la réalité est somme toute une construction de notre imagination. Son travail se présente comme un jeu de signes et de références et le parcours s’apparente à un jeu de piste à décrypter.

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican observe le monde qui l’entoure et essaye de le comprendre en s’appuyant tant sur le dessin, la peinture et la sculpture que sur la vidéo, l’installation et la performance. La perception, la subjectivité et la façon dont on reçoit et on assimile l’information visuelle sont des thèmes qui l’interpellent. Fasciné par la cosmologie, il invente sa propre taxinomie et met au point un système graphique composé de pictogrammes, de schémas, d’annotations qui lui permet de répertorier une multitude d’images, d’objets, de signes et de mots. Son processus consiste à compiler une véritable banque de données qu’il classifie et présente ensuite sous forme d’installations sculpturales, de dessins, de gravures, de photographies... 

Sa cartographie se décline en cinq couleurs, qui correspondent chacune à un registre différent. Dans le travail de Matt Mullican, le vert évoque la nature, le bleu symbolise la vie quotidienne, le jaune l’art tandis que le noir représente le langage et le rouge recouvre ce qui à trait à la subjectivité et à la spiritualité. “Tout ce que je dois cataloguer se trouve en réalité là où je vis. Quand je dis “où je vis”, je parle autant du monde physique que du monde psychologique” explique l’artiste.

En anglais, le mot “representing” signifie à la fois représenter et présenter à nouveau. L’intitulé s’inspire d’une installation éponyme dans laquelle Matt Mullican déplie, façon “boite en valise” de Marcel Duchamp, l’ensemble de son travail sur une soixantaine de draps de lit. Sur lesdits draps, il a reproduit, à la manière de planches iconographiques, l’ensemble de ses oeuvres et collé des photos de ses performances. Ce dispositif rappelle une frise chronologique et lui permet de transporter et de montrer facilement et à moindre coût l’ensemble de son oeuvre. La boite de transport est d’ailleurs exposée et certaines des œuvres représentées figurent dans l’exposition.

La visite permet de découvrir The MIT Project (1990-2020), une installation dans laquelle il déploie littéralement son univers dans l’espace d’exposition. Le visiteur se promène autour d’une maquette architecturale, divisée en différents couloirs et sections, dans laquelle sont disposés des objets éclectiques selon les codes chromatiques qui caractérisent son oeuvre. On y trouve des téléviseurs, des cartes postales, des appareils photos, des croquis mais aussi une vingtaine de bois de cerfs… Exposés dans une salle adjacente, ses dessins tirés de ses nombreux carnets de croquis, illustrent et synthétisent des thématiques métaphysiques et existentielles telles la religion, la vie ou la mort. 

Son besoin de rationaliser et de classifier l’information coexiste avec une volonté de lâcher prise. Dans ses performances sous hypnose, l’autre versant de sa pratique artistique et dont quelques enregistrements vidéo sont présentés au sous-sol, Matt Mullican se glisse dans la peau de son alter-ego “That Person”. Plongé dans un état second, parfois proche de l’hystérie, il exécute des tâches à priori banales comme manger, chanter, dessiner, parler, boire, marcher… L’expérience, qu’il décline à foison depuis les années 70, lui permet d’explorer son inconscient et de tester les limites entre réalité objective, expérience subjective et monde imaginaire.

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

The Meaning of Things (2014), une compilation de plus de 600 collages présentée plus loin dans l’exposition, combine des images tirées d’internet avec des dessins réalisés sous hypnose.

The Meaning of Things (2014)

The Meaning of Things (2014)

L’artiste a également recours au frottage, une technique utilisée par Max Ernst et les surréalistes qui permet d’obtenir une impression en frottant un crayon ou un bâton de pastel sur une surface plane en dessous de laquelle est placé un objet ou une texture en relief. Dans sa série Yellow Monster (2017-2018), il imprime des compilations d’images glanées sur internet sur des toiles au fond jaune et y superpose des pictogrammes obtenus par ledit frottage et qui rappellent le cadre dans le viseur d’un appareil photo. 

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Le parcours culmine avec une installation monumentale, le Berlin Studio Rubbing Archive (2012-2020). Des frottages en noir et blanc enveloppent la dernière salle, des signes, des schémas se mêlent à des mots et des extraits de bande dessinée… Denis Gielen, commissaire de l’exposition, résume bien la démarche de l’artiste quand il dit qu’“en somme, chaque projet devient pour [Matt Mullican] l’occasion d’expérimenter les effets du matériel de communication sur le sens de ces signes.”

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican, ‘Representing The Work‘, MAC’S

Matt Mullican, Representing The Work, MAC's (Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Site du Grand Hornu), Rue Sainte-Louise 82, 7301 Boussu, Belgique. Jusqu'au 18 octobre 2020. 

NB: Suivant les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie du Covid-19, le site du Grand-Hornu (et ce compris le CID - Centre d’Innovation et de Design, le MAC’S - Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le restaurant Rizom) suspend ses activités (animations et expositions) jusqu’au vendredi 3 avril inclus.

Copyright © 2020, Zoé Schreiber

Enrique Ramírez, 'Barco', Galerie Michel Rein

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Enrique Ramírez, Le grand bleu lointain, 2018, néon, 295 x 350 cm, édition de 3 ex + 2 AP. Courtesy the artist and Michel Rein, Paris/Brussels

Enrique Ramírez, Le grand bleu lointain, 2018, néon, 295 x 350 cm, édition de 3 ex + 2 AP. Courtesy the artist and Michel Rein, Paris/Brussels

L’espace de la galerie Michel Rein baigne dans une lumière bleutée. Une fois le seuil franchi, une barque en néon nous invite à prendre le large et immerge le visiteur dans une ambiance à la fois étrange et feutrée. L’effet visuel est d’autant plus hypnotisant à la tombée de la nuit… Dessiné au néon d’un trait naïf et enfantin, Barco, le bateau, vogue sur l’un des murs et donne le titre à l’exposition d’Enrique Ramírez, artiste chilien nominé au prix Marcel Duchamp 2020.

L’accrochage explore la thématique du voyage et convoque en filigrane l’histoire politique et sociale du Chili. Si dans ses oeuvres précédentes, Enrique Ramírez centrait son travail sur la mer comme métaphore pour penser l’exil et la mémoire, dans Barco son objectif se resserre autour de la symbolique du bateau.

Embarcation onirique par définition, le bateau est omniprésent et, s’il incarne l’invitation au voyage, la promesse d’une aventure ou d’un nouveau départ, il est aussi synonyme de tempête, d’instabilité, voire de naufrage… Enrique Ramírez joue sur cette polysémie et nous livre des impressions pointillistes qui font toutes allusion à la réalité de l’exil et au climat d’incertitude politique et économique qui caractérise son pays d’origine.

Né à Santiago en 1979, Enrique Ramírez y étudie la musique et le cinéma avant d’intégrer Le Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains à Tourcoing en France. En 2014, il remporte le prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo et participe à la Biennale de Venise en 2017.

Sa fascination pour l’univers marin s’explique tant par son vécu et son histoire personnelle que par la géographie atypique du Chili. Son père est fabricant de voiles pour bateau, un savoir-faire auquel le plasticien fait référence dans sa pratique artistique et notamment dans la vidéo Mar, la fin prévue (2019), que l’on peut découvrir dans le cadre de l’exposition. Enrique Ramírez filme en gros plan sur un fond noir une bobine pour machine à coudre blanche. Le fil se déroule et, avec lui, le mot “mar” (mer), inscrit au feutre indélébile, s’efface progressivement… La vidéo évoque l’atmosphère d’un atelier de confection mais nous parle également du lien à la mer, inscrit au plus profond de la psyché chilienne.

“J’ai besoin de la mer car elle est ma leçon”, écrivait le célèbre poète chilien Pablo Neruda. Avec ses plus de 4000 km de zones côtières, le Chili est un pays longiligne niché entre l’Océan Pacifique et la cordillère des Andes. En raison de l’éloignement géographique, rares étaient les chiliens qui prenaient volontairement la mer. Ils s’exilèrent massivement (plus de 200 000 sur les dix millions que comptait le pays), contraints et forcés, pour des raisons politiques au lendemain du coup d’état militaire de 1973. A l’instar de son compatriote, le cinéaste Patricio Guzmán, Enrique Ramírez s’évertue à raconter dans son travail “une histoire méconnue du Chili, presque effacée” et n’hésite pas à faire référence à la mémoire de l’eau qui a servi de sépulture aux corps des dissidents jetés à la mer sous la dictature du général Pinochet.

Enrique Ramírez, Los hechos reales (Les faits réels), 2016. Image courtesy the artist and Galerie Michel Rein

Enrique Ramírez, Los hechos reales (Les faits réels), 2016. Image courtesy the artist and Galerie Michel Rein

Dans le triptyque intitulé Los hechos reales (Les faits réels), il juxtapose, façon montage cinématographique, trois images et rappelle à notre souvenir les tristement célèbres zoos humains et le sort réservé aux populations autochtones du Chili. Au centre, une image d’archive documente un fait historique: en 1889, neuf indiens Kawesqar (habitants de la Terre de Feu, île de l’extrême Sud du Chili et de l’Argentine) sont arrachés contre leur gré à leur terre par l’entrepreneur Maurice Maître. La photographie, prise au Jardin d’acclimatation de Paris où ils ont été exhibés comme des “sauvages”, raconte le rapport de force et la violence du regard colonial. Seuls quelques-uns des fuégiens ont survécu à cette migration forcée et la photo de droite est celle de l’une de leurs descendantes. La femme est face à la mer, dos à la camera et elle regarde au loin vers l’horizon. Le cliché commémore le rapatriement des restes humains des cinq Kawesqars “conservés” jusqu’en 2010 dans les collections du département d’anthropologie de l’université de Zurich. La photo de gauche quant à elle montre une main brandissant, tel un talisman, une pierre dont la forme suggère celle du continent sud-américain. En faisant le pont entre le passé et le présent, ce triptyque évoque le combat que mènent encore à ce jour les populations indigènes pour obtenir la reconnaissance de leurs droits et la restitution de leurs terres ancestrales.

Enrique Ramírez nous donne à voir son Amérique latine sous la forme d'un récipient d'eau douce qui, tel un radeau navigue symboliquement sur un fond de couleur rouge, couleur de feu et de sang, couleur de vie et de mort... Le continent sud-américain, dont les façades maritimes sont ouvertes tant sur l'océan Pacifique que sur l'océan Atlantique, recèle 27% des ressources d'eau douce de la planète et est une “arche de Noé de la biodiversité” qu'il faut à tout prix protéger. Au mur, l’ébauche d’un paysage imaginaire réalisé à partir de morceaux de tissus, d’un flotteur de pêche et d’une plaque de cuivre, l’or rouge de l’économie chilienne.

Enfin, dans A la recherche du vent perdu sur bateau n°2 (2018), l’artiste joue sur deux registres en représentant à la fois une bouteille que l’on se plait à imaginer à la mer et un voilier en bouteille au dessus duquel flotte un drapeau, une allégorie du monde d’aujourd’hui perpétuellement en quête de sens.

L’exposition Barco permet à Enrique Ramírez d’explorer une nouvelle fois les thématiques qui lui sont chères et de se pencher de manière sensible et symbolique sur les enjeux et les défis idéologiques, politiques et sociétaux du XXIème siècle.


Enrique Ramírez, Barco, galerie Michel Rein, rue Washington 51A, 1050 Bruxelles, Belgique.

Jusqu’au 29 février 2020.

À vos agendas:

  • Samedi 22 février à 15h: Enrique Ramírez en conversation avec Marie Papazoglou, galerie Michel Rein, Bruxelles.

  • Prix Marcel Duchamp 2020: Alice Anderson, Hicham Berrada, Kapwani Kiwanga, Enrique Ramírez, Centre Pompidou, paris. vernissage le mardi 6 octobre 2020. Annonce du lauréat prévue le lundi 19 octobre 2020. exposition jusqu’au 4 janvier 2021.

Copyright © 2020, Zoé Schreiber

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