Anne-Marie Schneider, 'Ritournelle', MAC's

Anne-Marie Schneider, sans titre (autoportrait avec canne), 2007. Gouache sur papier, 40 x 30 cm. Courtesy of the artist and Michel Rein, Brussels

Anne-Marie Schneider, sans titre (autoportrait avec canne), 2007. Gouache sur papier, 40 x 30 cm. Courtesy of the artist and Michel Rein, Brussels

Depuis plus de 30 ans, l'artiste française Anne-Marie Schneider (née en 1962) croque quotidiennement son vécu et son ressenti. Sa démarche se situe à contre-courant des tendances artistiques sensationnalistes et se caractérise par l'économie des moyens déployés. Son médium de prédilection est le dessin, dessin qu'elle exécute au crayon gris, à l'encre de chine, au fusain, à l'aquarelle ou à l'acrylique.

Ritournelle, la rétrospective que lui consacre le MAC's (Grand-Hornu), nous plonge au cœur des tressaillements de son univers introspectif. Son trait, à la fois fragile et assuré, immortalise ses états d'âmes, ses rêves et ses cauchemars. Le parcours rassemble plus de 200 œuvres et répertorie la myriade de vignettes qu'elle couche spontanément sur papier. D’une grande sensibilité, sa pratique revisite à satiété des thèmes récurrents (le mariage, la sexualité, la famille, la maison, la mer...) et le "refrain" qu'elle fredonne au fil de l'exposition nous dévoile son rapport à l'intime, à son environnement et à autrui.

Dans la première salle, une constellation de dessins épinglés à même les murs accueille le visiteur. Ces croquis aux traits monochromes ou aux touches de peinture colorée restituent un condensé de scènes et d'expériences tirées de son quotidien... Mélange d'observation et d'imagination, les compositions sont simples et dépouillées. Leur style télégraphique touche à l'essentiel et, comme l'explique Anne-Marie Schneider dans un entretien accordé au magazine Blouin Artinfo, son processus consiste à "représenter le réel de la façon la plus abstraite possible". L'"écriture" de soi à laquelle elle s'adonne est de nature improvisée et rappelle l'écriture automatique en littérature. Violoniste de formation, l'artiste nominée au prix Marcel Duchamp en 2010 compose sans idées préconçues. Elle intègre des mots ou des phrases et conçoit ses dessins "comme des lettres flottantes".

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

Plusieurs œuvres relatent avec subtilité sa solitude et les relations qu’elle entretient avec l'autre. En début de visite, une frise verticale (Sans titre (Portraits), 2012) esquisse les visages de plusieurs personnages qui semblent dialoguer entre eux. L'alternance d'une feuille de papier à l'autre fait penser aux variations entre les différentes cases d'une bande dessinée, ce qui n'est pas étonnant puisque l’artiste anime ses dessins dans des films Super 8 présentés plus loin dans l’exposition. Dans l'un desdits films (Mariage, 2003), on l'entend plusieurs fois déclamer à tue-tête en voix-off : "j'aimerais me marier, avoir des enfants !" Un dessin et une petite sculpture (Sans titre, 2014) épellent et dédoublent les lettres qui composent les mots "toi" et "moi". 

Anne-Marie Schneider tente de mettre en images le statut de la femme et son rôle en dehors des carcans traditionnels. Dans une magnifique série d'œuvres (Sans titre, 2016), elle évoque la rencontre amoureuse et charnelle entre deux êtres. Les trainées de peinture rouge et rose se répandent sur plusieurs feuilles de papier et semblent avoir été réalisées en quelques mouvements amples et rapides. L’esquisse d’un bébé au dos d’une des silhouettes suggère le spectre d’une grossesse.

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

MAC's, Vue de l'exposition Ritournelle Anne-Marie Schneider © Philippe De Gobert

Elle travaille dans le huit-clos de son logis et personnifie les objets qui l’entourent. Les corps humains qu’elle dessine sont malléables, élastiques, fragmentés voire hybrides. Parfois, leur allure est étrange et se confond, à la manière d’un cadavre-exquis, avec le tracé d’une route ou l’encadrement d’une porte...

Un corpus de dessins illustre l’expulsion des "sans-papier" de l’Eglise Saint-Bernard à Paris en 1996. A partir de photographies et de coupures de presse, Anne-Marie Schneider se focalise sur la chorégraphie des affrontements corps à corps avec la police. 

Anne-Marie Schneider, Sans titre, 1996-1997, fusain sur papier. Fonds régional d'Art contemporain Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Anne-Marie Schneider, Sans titre, 1996-1997, fusain sur papier. Fonds régional d'Art contemporain Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Elle aborde les drames sociaux avec la même empathie que ses tragédies personnelles. Les scènes autobiographiques qu’elle retranscrit frôlent l’absurde et rappellent le travail de Louise Bourgeois et Eva Hesse pour ne citer qu'elles, plasticiennes auxquelles elle est souvent comparée… 

Le journal intime décousu et ludique que Ritournelle nous livre oscille entre les domaines du conscient et de l’inconscient, du rêve et de la réalité. La visite de l’exposition révèle l’originalité du travail de cette artiste à la sensibilité à fleur de peau et à l’imagination débordante.

 

Anne-Marie Schneider, Ritournelle, MAC's (Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Site du Grand Hornu), Rue Sainte-Louise 82, 7301 Boussu, Belgique. Jusqu'au 14 janvier 2017. 

Copyright © 2017, Zoé Schreiber


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